Ashley Ouvrier est docteure en anthropologie, post doctorante à l’Université Denis Diderot (Paris) et associée au Centre Norbert Elias (Marseille). Ses travaux portent sur les usages sociaux du médicament et l’expérimentation médicale en Afrique de l’Ouest et en France. Sa thèse, menée au sein de l’Institut de Recherche pour le Développement, a fait l’objet d’un livre intitulé « Faire de la recherche médicale en Afrique : Ethnographie d’un village-laboratoire » (2014).
Tout au long de son parcours, elle s’est attachée à diffuser ses travaux en mobilisant aussi bien le théâtre que la photographie. Elle a notamment monté un spectacle de théâtre forum sur le vécu des essais cliniques (en collaboration avec la troupe sénégalaise Kaddu Yaraax) et a réalisé une exposition photographique itinérante sur les traces matérielles et affectives de la recherche scientifique au Sénégal intitulée « Mémoires en partage : un autre regard sur la recherche en Afrique ».
Depuis un an et demi, elle travaille en France sur les représentations et les modes de gestion profanes du risque médicamenteux dans le cadre d’un programme de recherche dirigé par Sylvie Fainzang. Elle enseigne également depuis deux ans à l’Université d’Aix-Marseille dans le cadre de la licence « Sciences et Humanités ».
II. Approche anthropologique de la gestion du risque médicamenteux en France
Gestion profane, subjectivité et savoirs expérientiels
Contexte : Du fait de la dualité intrinsèque du médicament (qui peut être à la fois considéré comme un remède et un poison), les usagers peuvent aussi bien se montrer méfiants qu’enthousiastes à son égard. Dissimulés dans un placard de la cuisine, négligemment jetés dans les vide-poches du salon ou méticuleusement disposés dans un pilulier, les médicaments sont aussi utilisés par les Français, en fonction de ce que ces derniers, en tant que profanes et malades, perçoivent comme dangereux, inoffensifs ou contraignants. Alors que le patient contemporain est plus que jamais invité à prendre part à la gestion des risques sanitaires, paradoxalement, peu de travaux documentent les représentations et pratiques profanes des usagers du médicament (Fainzang, 2010, 2014 ; Chamberlain et al, 2011).
Problématique : Loin du paradigme de l’evidenced-based medicine sur lequel se basent la plupart des approches du risque médicamenteux en santé publique, il s’agira dans cette étude (réalisée en France) de questionner la part attribuée à la subjectivité et au savoir expérientiel des personnes qui achètent, manipulent, et consomment au quotidien des médicaments dans le cadre de leur maladie chronique. Quelle place ces consommateurs attribuent-ils au discours de leur médecin, à la notice pharmaceutique, à leur expérience de la prise médicamenteuse et à leur vécu de la maladie ? Envisagent-ils les risques de la même manière selon qu’ils consomment un antalgique, un antidépresseur ou un antidiabétique? Leur mode de gestion du risque varie-t-il selon qu’ils ont été diagnostiqués récemment ou il y a plusieurs années ? Les politiques de santé publique, centrées sur l’autonomie de la personne et la prévention et gestion des risques sanitaires, influencent-elles la nature de la relation que les patients entretiennent avec leurs médicaments ?
Objectif : Dans une perspective qui envisage le médicament comme un objet situé au cœur de la vie intime, quotidienne et domestique des usagers, il s’agira dans cette ethnographie d’explorer la manière dont la subjectivité et les savoirs expérientiels des patients s’articulent avec la gestion profane du risque médicamenteux.
Méthode : L’étude se déroulera sur 12 mois et reposera sur une série d’entretiens qualitatifs réalisés au domicile de résidents de la région PACA (principalement dans les agglomérations de Marseille et Toulon). Les entretiens seront simples et/ou multiples selon les cas. Ils concerneront des usagers d’âges et de statuts variables et atteints de pathologies différentes (maladies cardiaques, infectieuses, troubles psychiatriques, hormonaux, maladies dermatologiques chroniques, etc..).